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Interview de Jean-Claude Biver : sa vision du futur de TAG Heuer


Après avoir offert une nouvelle vie à Hublot, Jean-Claude Biver a été dépêché par le groupe LVMH pour remettre de l’ordre au sein de TAG Heuer. Et les travaux sont déjà bien avancés… La preuve ? La toute nouvelle TAG Heuer connectée vient d’être dévoilée à New York à l’occasion d’une importante conférence de presse. Son prix sera de 1.500 dollars environ.


Dès son arrivée, la restructuration a été radicale tant sur le plan humain que sur le plan industriel. La nouvelle unité de production à peine inaugurée par l’ancienne direction a été mise en sommeil et le mouvement qui devait y être produit est désormais aux archives…
 
Les objets dérivés, lunettes, cuirs ou téléphones ne sont plus à l’ordre du jour. C’est un recentrage sur les fondamentaux de la marque que Jean-Claude Biver est en train de réaliser. Réduire les coûts, rationnaliser les collections sont les objectifs de l’homme providentiel de l’horlogerie suisse. Il nous livre ici sa vision du futur de TAG Heuer.
 
Joël Chassaing-Cuvillier : Votre arrivée à la tête de TAG Heuer ne s’est pas faite sans bouleversement, qu’il s’agisse de changement de personnes, de choix de production et de stratégie, est-ce que ce chantier de rénovation est terminé ?
Jean-Claude Biver : Oui, le chantier est terminé. Nous sommes maintenant occupés à 100% au développement de la marque et à sa reconquête des parts de marchés dans son cœur de gamme. Nous avons pu recruter des compétences importantes et je pense même que nous avons actuellement une des meilleures équipes possible à la barre de la marque. Je suis très confiant des mesures prises par cette nouvelle équipe. Les nouveaux produits en cours de développement vont rapidement permettre à la marque de revenir au premier plan.
 
J.C-C : Vous venez de lancer la Carrera Calibre 5 automatique. Est-ce que cette trois aiguilles vendue environ 2.000 euros est pour la marque un repositionnement réaliste et un retour vers les valeurs originelles de TAG Heuer  afin de rester dans la catégorie de 1.000 à 3.000 euros ?
J.C B : Dans toute marque, il est important de soigner et surtout, de maintenir le prix d’entrée de marque. Même si parfois, on a tendance à vouloir quelque peu négliger l’entrée de gamme, je suis au contraire partisan de toujours apporter énormément de soin et d’attention à ce segment très important pour une marque. En effet l’entrée dans la marque est capitale, elle permet de conquérir en permanence de nouveaux clients qui peuvent y évoluer !
 
J.C-C : Vous avez annoncé récemment que TAG Heuer réalisait près de 800 millions d’euros de C A, quel est votre objectif à 5 ans ? Votre production est à peu près de 700.000 pièces/an pensez-vous pouvoir atteindre le million ?
J.C B : Nous ne communiquons pas de chiffres, c’est la règle chez tous nos concurrents, donc à notre tour nous ne souhaitons pas communiquer de chiffres. Néanmoins, je peux vous affirmer que mon objectif est surtout un objectif de parts de marchés. Avec l’état du marché horloger en général, il est devenu capital de raisonner en parts de marchés plutôt qu’en chiffres d’affaires.
 
J.C-C : Justement, le marché est en baisse, avez-vous prévu de revoir les collections et comment sera structuré votre futur catalogue, mouvements externes comme Sellita et mouvements maison ?
J.C B : Non, le marché n’est pas encore en baisse, du moins pas dans nos segments de prix. Si le marché devait baisser, alors la conquête des parts de marchés serait d’une importance capitale. Or, c’est ce que nous faisons déjà ! Nous sommes donc déjà armés au niveau de notre stratégie pour une éventuelle baisse des marchés à laquelle je ne crois pas du reste...
 
J.C-C : Un tourbillon a-t-il sa place dans le catalogue TAG Heuer ?
J.C B : Tout produit horloger qu’il soit positionné dans le cœur de gamme de la marque, ou à un prix exceptionnellement compétitif a sa place dans nos gammes. Nous possédons désormais un outil industriel intégré très compétent et compétitif. Cela nous permet de réaliser des produits à des prix qui seraient impossibles à concevoir si nous étions obligés, comme la plupart de nos concurrents, à nous fournir en externe.

J.C-C : Beaucoup d’horlogers vendent des concepts ou des égéries, est-ce un bon choix pour l’image des marques ?
J.C B : De tout temps l’être humain a eu besoin de références dans sa vie. Cela commence entre le bébé et sa maman pour se poursuivre ensuite avec son professeur, son patron, un ami, un entrepreneur, un acteur, un chanteur, un sportif, etc. C’est dans notre nature d’avoir des références, des maîtres ou des idoles. Et aussi longtemps que ceci sera vrai, les égéries fonctionneront pour les marques, pour autant qu’elles soient en adéquation et en harmonie avec l’image de la marque et son produit.
 
J.C-C : De votre côté, vous abandonnez votre partenariat historique avec McLaren et la Fl. La Carrera Panamericana et votre présence au Mans seront-ils les seuls partenariats automobiles ?
J.C B : Nous n’abandonnons rien, bien au contraire. Les relations, les évènements ou le sponsoring que la marque aurait perdu dans le passé, nous essayons de le récupérer. Il faut du temps pour cela et montrer de la patience et de la persévérance.
 
J.C-C : Dès la fin de l’année, les premières montres connectées TAG Heuer seront disponibles. Peut-on éprouver la même passion avec un produit périssable comme les produits connectés Apple ou autres qu’avec une montre d’horloger. Que cela soit une Longines, une Heuer ou une Hublot et est-ce que ce type de montre est compatible avec l’actuelle notion de luxe ?
J.C B : En principe, et nous en sommes conscients, le luxe n’est pas vraiment compatible avec l’obsolescence technologique, car le luxe est plus lié à l’éternité qu’à l’obsolescence programmée ! C’est la raison pour laquelle nous étudions aujourd’hui le meilleur moyen de résoudre ce problème. Et nous ne lancerons une montre connectée qu’à condition que nous ayons résolu cette problématique.
 
J.C-C : Les vallées suisses doivent-elles avoir peur de la Silicone Valley et est-ce le retour de la bataille du quartz des années soixante-dix ?
J.C B : Non, la montre connectée ne jouera pas le rôle de la montre à quartz de l’époque, car la montre connectée ne remplacera pas la montre mécanique, mais sera plutôt complémentaire. On pourra posséder les deux produits dont les fonctions, l’esthétique et les rôles sont totalement différents ainsi que le sont leur prix et leur cycle de vie.

J.C-C : Est-ce que les Suunto et les Polar étaient déjà des montres connectées qui s’ignoraient ?
J.C B : Oui, bien entendu et la première montre connectée fut la Swatch Access au milieu des années 90. Montre avec laquelle on pouvait déjà faire des paiements (tel que les abonnements journaliers à Verbier ou dans le métro de Hong Kong par exemple). Ce sont donc les Suisses qui ont inventé la première montre connectée !
 
J.C-C : Que doit apporter en plus un horloger suisse en matière de montre connectée pour se différencier des marques aux origines électroniques ?
J.C B : Idéalement, il devrait amener de l’éternité en plus de la technologie. C’est-à-dire que sa montre connectée ne devienne jamais vraiment obsolète et que dans cent ans on puisse toujours l’utiliser et éventuellement la réparer.
 
J.C-C : Que penser des marques qui adaptent un bracelet connecté à une montre classique ?
J.C B : Je trouve que c’est une excellente solution et on peut même se demander si à terme, ce ne serait pas « la » meilleure solution ?
 
J.C-C : De la même manière allez-vous faire une remise à plat chez Zenith qui semble à la peine ?
J.C B : Nous venons de trouver le message (ou philosophie) existentiel de Zenith : « Eternity in a box » ou l’éternité au poignet. En effet, Zenith, grâce à son mouvement de légende El Primero et son calibre Elite est une manufacture dans la plus pure définition. En tant que tel, Zenith doit devenir l’étalon ou la référence de l’éternité au poignet. Avec ce concept existentiel, nous allons pouvoir avancer maintenant beaucoup plus vite dans le produit, la communication, le marketing, etc. On verra donc prochainement une nouvelle dynamique chez Zenith. Je ne me fais pas de soucis pour cette marque légendaire, car je sais qu’elle retrouvera tout son lustre et sa raison d’exister.
 
J.C-C : Les exportations horlogères de ce début d’année sont mauvaises, notamment à Hong Kong, est-ce un accident de parcours ou un phénomène qui risque de perdurer. N’est-ce pas lié à des hausses de prix excessives que les clients refusent d’assumer. Cela dans tous les segments de prix ?
J.C B : Les exportations sont tout de même encore légèrement positives. Elles sont encore un tout petit peu au-dessus de l’année dernière qui était une année de record historique. Donc aussi longtemps qu’on fait mieux, même un tout petit mieux qu’un record historique, je trouve qu’on ne devrait pas se plaindre. Ce qui bien entendu, ne doit pas nous empêcher d’être vigilants, prudents et surtout dynamiques !
 
J.C-C : Comment c’est fait le choix d’un partenariat avec Nissan en compétition ?
J.C B : Nissan, notamment son modèle la Nissan GTR, est très populaire auprès de la nouvelle génération et des jeunes. Il nous a semblé important d’avoir aussi des partenariats qui parlent à notre segment de l’entrée de gamme. Il faut oublier cette tendance à sceller des partenariats pour la clientèle du haut de gamme uniquement, au détriment des autres gammes !
 
J.C-C : Vous commencez à vous intéresser aux voitures anciennes, peut-on savoir l’état de votre collection et surtout quand comptez-vous en profiter pleinement ?
J.C B : Je profite souvent de mes voitures classiques, car elles sont toutes des années 50 et 60, donc assez faciles à conduire aujourd’hui. Bien que j’en possède un certain nombre, je roule de préférence avec ma Ferrari 275GTB/4. C’est une véritable symphonie que d’écouter chanter le 12 cylindres, surtout qu’il n’a rien à envier au niveau de la puissance et de la souplesse aux moteurs d’aujourd’hui. 

Propos recueillis par Joël Chassaing-Cuvillier 


Montres-de-luxe.com | Publié le 9 Novembre 2015 | Lu 1763 fois