Costumes, vestons et pantalons : les cinq drapiers à connaitre absolument

Par Jean-philippe Tarot, Vendredi 12 Septembre 2025 pour Montres-de-luxe.com

Parmi les secrets des bons tailleurs, il y a ceux… des drapiers ! Un tailleur ne tisse pas : il coupe, monte et ajuste. Pour la matière première, il s’approvisionne auprès de drapiers, ces maisons commerçantes qui rassemblent, éditent et distribuent des étoffes en « coupe » pour la petite et la grande mesure. Certains drapiers possèdent (ou pilotent) des ateliers et des marques historiques quand d’autres sélectionnent chez des tisserands partenaires.


C’est tout l’écosystème qui fait vivre nos vestiaires : d’un côté les fabriques –les moulins– de l’autre, ces maisons de distribution qui parlent la langue des ateliers.
 
Pour ceux qui veulent s’y retrouver, la distinction « mills & merchants » a d’ailleurs été clairement posée par plusieurs observateurs anglo-saxons de la filière.
 
Voici, sans fétichisme ni chauvinisme, cinq grands noms qui comptent réellement dans les cabines de tailleurs. Avec, à chaque fois, un rappel historique, ce qu’on aime y choisir et, comment le porter – tout en situant ces maisons face à d’autres références que vous croiserez souvent.

Vitale Barberis Canonico (et son bras droit Drapers)
Derrière un très grand nombre de beaux costumes se cache un nom biellois apparu… en 1663. VBC est l’une des plus anciennes manufactures lainières en activité et demeure la grande fabrique de Biella dont les étoffes irriguent le monde entier.
 
Côté « classiques », on y trouve notamment le Perennial –une base quatre saisons autour de 260/270 g idéale pour la vie réelle, ni trop lourde ni trop légère. Mais VBC n’est pas qu’un moulin de volume : la maison cultive des qualités de main et de tombé qui expliquent sa présence durable chez les tailleurs.
 
Pour accéder en coupes aux qualités VBC, les tailleurs passent par Drapers, société bolognaise intégrée au groupe et dédiée à la distribution « cut lengths ». Drapers fait plus que vendre : la maison édite des collections exclusives conçues avec VBC (on pense à Five Stars, 370 g, laine sèche, tenue exemplaire), et propose une lecture italienne, exigeante, des fondamentaux.
 
Les mentions légales de Drapers confirment d’ailleurs son rattachement direct à VBC ; et la communication de VBC renvoie officiellement vers Drapers pour le service coupe.
 
Que choisir ? Pour un « premier bon costume », un Perennial sobre ; pour une garde-robe plus pointue, le fameux Five Stars en 370 g ou les haut-twists Ascot (2-ply ou 4-ply) quand le thermomètre s’agite.

Holland & Sherry
Fondée en 1836 à Londres, la maison de Savile Row demeure le grand comptoir anglais où l’on trouve « tout ce qui fait une garde-robe ».
 
Les tailleurs s’y servent pour les tweeds (la famille Sherry Tweed, esprit Shetland en 340–380 g, rustique mais agréables), les cavalry twills et whipcords pour les pantalons robustes et une offre de velours/cachemires pléthorique.
 
H&S est aussi, disons-le, le paradis des cachemires raffinés –la gamme « Khan » (SherryKash, Doeskin Blazers…) signale des mains d’une douceur rare et des finitions profondes.
 
Que choisir ? Pour l’automne, un cavalry twill autour de 420 g pour un pantalon autonome qui supporte les derbies grainés ; pour les vestes, un Sherry Tweed herringbone qui prend la lumière sans briller.

Huddersfield Fine Worsteds (Hardy Minnis, J. & J. Minnis, John G. Hardy…)
HFW, c’est l’agrégateur historique de grandes enseignes anglaises : Hardy Minnis, Hunt & Winterbotham, J. & J. Minnis… Un groupe qui travaille pour Savile Row et les grandes maisons du monde entier.
 
Son étendard ? Fresco, un « high-twist » breveté au début du XXe siècle : fils fortement retordus, armure aérée, fraîcheur et tenue, une étoffe de voyageur qui ne se repasse pas toutes les heures et fait des pantalons d’été exemplaires.
 
Le journal maison rappelle d’ailleurs la promesse originelle de Fresco : net, résistant, ventilé – on dira aujourd’hui « crease-resistant » plus que « crease-free », mais l’esprit est là.
 
Que choisir ? Un Fresco III moyen poids pour des costumes qui voyagent (réunions, TGV, terrasse), ou un Fresco Lite pour les chaleurs plus vives. Si vous aimez les tweeds anglais propres, HFW édite aussi des gammes classiques sous ses différentes étiquettes.
 
Et, pour rester sur le registre anglais, beaucoup regarderont chez Fox Brothers –maison indépendante, somersetienne, reine de la flanelle lourde– quand il s’agit de pantalons d’hiver au tombé dense.

Scabal
Née à Bruxelles en 1938, Scabal est à la fois marchand et producteur : la maison possède notamment le moulin Bower Roebuck à Huddersfield.
 
Elle édite des collections qui vont du worsted « business » impeccable à des fantaisies techniques célèbres – Diamond Chip (poudre de diamant), Golden Treasure (24 carats), Lapis Lazuli – clin d’œil de connaisseurs autant que vitrines technologiques.
 
C’est une offre très large, capable de couvrir le vestiaire d’un dirigeant comme les caprices d’un collectionneur de tissus ou d’un dandy.
 
Que choisir ? Pour un bleu nuit de conseil d’administration, les bases « sérieuses » de Scabal à 260–300 g qui drapent net et voyagent bien ; pour un smoking, un satin de laine profond. Et si l’on compare le rayon « laines de luxe », Scabal se situe dans la conversation avec Zegna et Cerruti, et bien sûr Loro Piana – dont on aime particulièrement les propositions d’été :  la famille Summertime en laine/soie/lin, très raffinées.
 
Lire aussi : Scabal inaugure son nouveau show-room parisien !

Maison Hellard
Le « petit » nouveau… mais déjà bien en vue. Maison Hellard s’est imposée à Paris comme un drapier de goût, présent chez des tailleurs qui aiment les mains sèches, les lins bien choisis et les propositions pointues pour vestes et pantalons.
 
Le positionnement est clair : un œil français, des sélections mûries, des bunchs qui parlent aux ateliers et aux clients. Une bonne nouvelle dans un pays où la tradition du drap s’est parfois effacée derrière l’industrie italienne et britannique.
 
…Et les autres noms que vous croiserez en chemin
Dans les cabines, vous entendrez aussi Zegna –la grande filière textile italienne fondée à Trivero au début du XXe siècle– ou encore, le Lanificio F.lli Cerruti, Biella toujours, dont l’histoire industrielle s’entremêle à celle de la mode depuis Nino Cerruti.
 
Loro Piana (groupe LVMH), de son côté, règne sur le registre des mélanges d’été (Summertime) et des propositions « Proposte Mare » très réussies.
 
Personne n’ayant le monopole du bon goût, l’important est d’accorder usage, climat, style de vie et main de l’étoffe.

Comment s’en servir, concrètement
Si vous démarrez votre vestiaire, un bon « quatre saisons » VBC via Drapers (Perennial) ou un worsted Holland & Sherry Classic Worsted vous donneront un costume quotidien qui passe partout.
 
Pour des pantalons autonomes, visez un cavalry twill H&S autour de 420 g l’hiver, puis basculez sur un Fresco Hardy Minnis dès mai.
 
Les vestes ? Tweed léger (Sherry Tweed) en mi-saison ; en ville l’été, un W/S/L type Summertime ou un high-twist italien (Ascot 2-ply) avec chemise en oxford fin.
 
La beauté du système, c’est qu’il vous laisse orchestrer votre confort et votre allure, sans se laisser dicter la saison par le calendrier.
 
En filigrane, retenez trois choses. D’abord, un drapier crédible dit où sont filés et tissés ses tissus –transparence basique, mais indispensable. Ensuite, un bon tissu se reconnaît à l’usage : tombé au porter, tenue au siège, retour au cintre.
 
Enfin, la bonne étoffe ne « fait » rien toute seule : elle demande un tailleur qui sait couper… Et repasser ! À vous de jouer.


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