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L'actualité des montres de luxe et des marques horlogères de prestige

Rencontre avec Bruno Belamich, directeur artistique de Bell & Ross


Comment faire évoluer le design d’un modèle « phare » d’une marque horlogère tout en préservant son image. En apparence simple, ce travail demande une grande finesse d’action afin de ne pas bousculer un ordre fragile. C’est ce que nous explique Bruno Belamich, le directeur artistique de Bell & Ross et co-fondateur d’une marque encore jeune, qui est vite devenue une marque de passionnés. Le style affirmé de la BR 03 remportant un succès immédiat.


C’est avec ce modèle pour point de départ que Bruno Belamich nous explique sa vision de l’évolution d’un modèle « phare ». Dans ce cas, il souligne que les seuls les quatre vis et le rond dans le carré font partie des points fixes auxquels « on ne touche pas ». En revanche, la couronne, les proportions, le bracelet ou la finesse des aiguilles peuvent eux, être adaptés.
 
Il nuance néanmoins son propos en précisant que, « dans le cas de la BR 03 ou la BR 05, la couronne pourrait être changée. C’est le métier du designer horloger de jouer avec tous ces différents paramètres. Mais l’exercice, quel que soit le domaine d’application, horlogerie ou automobile ou le vêtement par exemple, reste le même ».
 
Et de poursuivre : « on définit ce qui fait la singularité d’un produit et on joue avec les autres paramètres. Le dessin d’une montre est d’une grande précision et un millimètre de modification change toute la perception que l’on en a. A l’échelle d’une aiguille, on parle même en dixième de millimètre ».
 
« C’est un exercice que je trouve très intéressant car il met en avant toutes les qualités d’un designer, qui doit savoir aussi, comprendre les enjeux marketing et commerciaux de la marque. Le designer est au service d’une stratégie d’entreprise, son objectif est avant tout de faire vendre son produit. Selon moi, le designer n’est pas un artiste ».

Bruno Belamich explique alors que « dans le luxe, il y a la double théorie du marketing au service du design ou du design au service du marketing. On considère que le marketing est au service du design, car c’est au designer d’avoir une vision. Néanmoins, je pense qu’il existe autant de mauvais designers que de bons « marketeurs » ».
 
Et puis, « il y a des gens comme Steve Job qui ont une véritable vision. Il synthétise une innovation. Il est à l’écoute, il observe et regarde ce qui se fait. Il sélectionne ce qui est intéressant et le traduit en avantages, en performances et en caractères séduisants pour le consommateur ».
 
Bruno Belamich poursuit en affirmant « qu’un bon designer doit avoir le sens du marketing tout comme un bon « marketeur » doit avoir le sens du design. Dans l’horlogerie ou la mode, avoir le sens du produit est indispensable ».
 
Pour lui, l’avantage de ce métier est que l’on peut prendre du plaisir tout en prenant des risques. « Quand je dessine une montre, je fais tout pour qu’elle soit commercialisée, car j’y crois. Bien sûr, il arrive que l’on se plante » nous dit-il.

Montres de luxe : avez-vous connu des échecs ?
Bruno Belamich : il y a bien sûr des modèles qui se vendent plus que d’autres mais on ne comprend pas plus un succès qu’un échec… Un succès, on ne cherche pas à l’expliquer, il est là et c’est tant mieux ! Un échec est encore plus dur à interpréter…
 
Est-ce que c’était le mauvais moment, le mauvais prix, le mauvais dessin, la mauvaise ergonomie, un mauvais vendeur, un mauvais confort… Les raisons sont multiples et parfois toutes bêtes. Il y a également le perçu conscient ou inconscient.
 
MdL : il y a un phénomène dans l’horlogerie, c’est cette façon de se copier les uns les autres. Dès que quelque chose fonctionne chez l’un, c’est aussitôt repris chez l’autre.  
B.B. : oui, pourquoi… Cela fait pas mal de temps que la montre est devenue un objet « inutile ». Le fait est qu’aujourd’hui, on peut très bien vivre sans une montre au poignet ! Pourquoi achète-t-on encore des montres... C’est en priorité un statut et le plaisir de porter un bel objet.
 
La fonctionnalité de l’objet est aussi un prétexte qui laisse le paraître prendre le dessus… Mais si ce « paraître » semble être pour les autres, il est aussi pour soi. On trouve là une sorte d’autosatisfaction à porter une jolie montre.

MdL : le choix des matériaux influence-t-il le design ou au contraire, le design induit-il certains types de matériaux ?
B.B : On peut dire les deux. Dans les réunions de début d’année, quand on définit les nouvelles collections et que l’on pense à la déclinaison de certains modèles, le changement de matière arrive en premier.
 
Il y a des déclinaisons de fonctionnalités, mais aussi, on va chercher d’autres matériaux afin d’animer les collections. Il y a néanmoins dans certaines demandes de cahier des charges, des matériaux qui s’imposent.
 
Le titane par exemple, est une évidence si l’on veut une montre soit légère. Une montre sans reflet nécessitera quant à elle, soit un traitement de surface, soit de la céramique ou du plastique. Bien sûr, le plastique ne valorise pas la montre ! Dans le choix des matériaux, il y a des choses qui s’expliquent et d’autres non.
 
MdL : est-ce qu’à l’instar de l’automobile -où régulièrement on voit des changements de « calandre »-, l’horlogerie doit impérativement faire des changements cosmétiques ?
B.B : si vous écoutez le directeur commercial : oui, c’est obligatoire. Cela permet de redynamiser les ventes et de susciter un nouvel intérêt. Cela, à l’instar de l’automobile, où il existe des cycles de vie avec des restylages ou des séries spéciales aux deux-tiers du parcours.
 
Ces astuces marketing, on les retrouve également dans l’horlogerie. Soit on refait tout à 100% en changeant la boîte ; soit on change un cadran ou un autre détail. Dans cet esprit, Rolex fait de pas « grand-chose », une révolution. Ils vont modifier légèrement le diamètre de la lunette ou mettre des chiffres différents. Juste de quoi aiguiser l’appétit des collectionneurs.

MdL : jusqu’où peut-on pousser le principe des déclinaisons ?
B.B : Pour moi, le business model idéal, c’est celui de Rolex. C’est-à-dire, celui où l’on a rien à changer. Mais aujourd’hui, on est dans un monde qui est à l’opposé de cela. On propose et le client dispose. On a besoin d’animer en permanence pour entretenir l’intérêt vers la marque et les modèles.
 
Nous devons donc retoucher les modèles régulièrement… C’est le principe de l’activité du marché du luxe qui doit en permanence attiser l’intérêt de l’amateur.

Les collectionneurs aiment avoir des pièces différentes qu’on ne porte pas forcément tous les jours. Notre Skull en est l’exemple parfait ! Ce n’est pas une montre que l’on porte quotidiennement, mais une pièce forte qui se remarque dans une collection.
 
MdL : on assiste à une nouvelle mode qui est l’utilisation de déchets comme les filets de pêche dans les matériaux horlogers. Est-ce que quelqu’un qui dépense 10.000 euros a envie d’avoir une montre constituée pour une part de recyclage ?
B.B : C’est ça tout le génie du marketing : grâce à la perception du conditionnement culturel, on n’emploie pas ces termes… On ne dit pas « je porte des déchets ».
 
Selon moi, la meilleure façon de faire du « vert », c’est encore de ne pas produire et de limiter le nombre de marques ou le nombre de modèles sur le marché.
 
MdL : y-a-t-il des marques à supprimer ?
B.B : il y a trop de marques. Il y a trop de produits et de production… Il est clair que beaucoup de gens vivent de cette industrie et je ne me permettrais pas de faire une sélection des marques qui ont le droit de vivre ou de ne pas vivre. C’est le marché qui décide…

MdL : avez-vous des retours de clients qui réclament des produits recyclés ?
B.B : Non. Mais néanmoins il y a des choses qui s’imposent d’elles-mêmes, notamment dans le domaine du packaging où l’on voit des aberrations avec trop de matières chimiques non recyclables et inutiles.
 
La montre en elle-même est plutôt écologique. Y compris pour un bracelet dont le cuir provient d’élevage et qui serait jeté autrement ! Je m’intéresse bien sûr à ces problèmatiques et il y a des courants qui nous imposent des choix et des attitudes dans notre façon de produire.
 
On se pose la question pour le packaging, on se pose aussi la question des bracelets en galuchat que l’on ne doit plus utiliser. Nous sommes en bout de chaîne et nous suivons les courants imposés.
 
MdL : en 2007 vous me disiez : « si je fais du marketing, je suis sur la mauvaises voie » est-ce toujours valable ?
B.B : ce marché possède une grande dimension irrationnelle ! Je pense que le plus important dans ce métier, c’est d’avoir une vision et une idée de ce que l’on veut de la marque sans avoir à interroger le marché ou le marketing au premier degré. Ce qui reviendrait à faire de l’algorithme.
 
Je pense que nos clients sont ravis d’avoir des nouveautés, mais dans une véritable innovation, il y a toujours une part de risque ! Il faut donc être capable de prendre ce risque...

Il y a cependant des marques et des organisations qui n’osent pas ; vous pouvez en effet prendre une décision qui ne fonctionne pas et dans une grosse maison, vous avez le risque d’être viré !
 
MdL : entre Charles Eames, Dieter Rams, Harley Earl et Bill Mitchell quel est le designer que vous retenez ?
B.B : Pour moi, c’est Dieter Rams, incontestablement. Il a devancé toute une génération de designers vers le minimaliste et le fonctionnalisme. On a du mal à imaginer combien cet homme a été un génie dans son temps.
 
Aujourd’hui, c’est facile de faire du « Dieter Rams », ça a déjà été fait ! Mais à l’époque, c’était un grand visionnaire qui a défriché véritablement le design et qui a généré des centaines d’héritiers dans les bureaux de design.
 
Gandini par exemple, en est un bel exemple. Il faut aussi se souvenir de la collection audio de Rams qui est un véritable chef d’œuvre !

Propos recueillis par Joel Chassaing Cuvillier

Montres-de-luxe.com | Publié le 9 Mars 2023 | Lu 7359 fois






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